Un brame ne ressemble jamais à un autre, dit-on communément. Année après année, il faut bien se rendre à l’évidence que c’est le cas. Après deux années difficiles dues avant tout à la sécheresse et au manque d’herbe sur les pâturages, l’espoir était de retrouver un brame très actif dans les Hautes-Vosges, même si les cervidés s’étaient fait rares durant l’été autour d’une place de brame généralement fort bouillonnante.

Hélas, il a fallu à nouveau vite déchanter. Une fois de plus, le cru 2021 du brame a été très nocturne – c’est une réelle tendance – et surtout peu bruyant. Dans d’autres contrées françaises, et même dans certaines vallées vosgiennes, le brame a débuté assez tôt, au contraire des Hautes-Vosges haut-rhinoises. Si certains mâles ont été vus dès le mois d’août (notamment sur un piège photo), les biches ont subitement disparu et sont à nouveau restées la plupart du temps en forêt.

Après une journée maussade, une ouverture après le coucher de soleil a permis ce contre-jour.
Le roi de la forêt musé à la recherche des odeurs des femelles.
Les cerfs sont le plus souvent restés au fond des bois…

Une chasse très précoce

Cette fois, une des explications les plus répandues concerne la chasse. Les chasseurs ont en effet été vus très tôt autour des places de brame et les coups de feu ont résonné dès la mi-septembre. D’après certains contacts, de nombreuses biches auraient été tirées dès l’ouverture de la chasse (le 23 août en Alsace) et cela a largement désorganisé les hardes. Il faut dire que les chasseurs sont mis sous pression par l’Office national des forêts, qui cherche à réduire fortement leur nombre, estimant qu’ils empêchent la régénération naturelle. L’ONF tente là de cacher des années, voire des décennies, de très mauvaise gestion de la forêt vosgienne… Ne devrait-on pas simplement interdire la chasse durant les quatre semaines de brame ? C’est le cas dans certaines contrées françaises… Et c’est notre rêve, à nous naturalistes et photographes…

Pour la première fois, j’ai été moi-même témoin d’une scène de chasse. Le 17 septembre, à 19h35, j’étais posté dans une très grande clairière où une vingtaine de cervidés a ses habitudes. Clairière qui ne dispose d’aucun mirador… J’ai alors entendu pour la première fois de l’année des raires d’un cerf, puis d’un second. Posté de l’autre côté, je me suis légèrement déplacé pour tenter de voir les cerfs quand un coup de feu a claqué. Le chasseur n’a pas bougé et je me suis donc éclipsé… Un peu refroidi par cette soirée…

Les biches ont préféré la quiétude des bois…
Ce 14 cors était borgne, atteint à l’oeil droit.
En fin de brame, les biches arborent déjà leur pelage d’hiver.

La suite a été compliquée. Le plus souvent, les cerfs n’ont quitté la forêt profonde que de nuit, la regagnant avant les premières lueurs du jour. Je n’ai entendu plusieurs cerfs donner de la voix qu’en soirée du 24 septembre, sans parvenir à prendre d’image. Heureusement, il y a eu cette matinée du 27 septembre, au même endroit où j’ai croisé mon plus beau cerf (un 16 cors) il y a quelques années. Un 14 cors était présent en compagnie d’une seule biche, mais il s’est laissé tirer le portrait un petit bout de temps.

Même une semaine complète consacrée au brame n’a pas été très productive, mis à part une matinée avec un joli cerf en compagnie d’une harde. La météo, tempétueuse durant 48 heures, puis brumeuse, n’a pas été fameuse…

Une ambiance typique des Hautes-Vosges.

J’ai aussi été témoin de certains comportements irrespectueux des hommes. Par deux fois, des personnes ont été vues à la tombée de la nuit avec une lampe de poche aux abords d’une place de brame. Pire, un soir, deux personnes ont carrément traversé la place (alors qu’il y avait quatre biches), puis ont fouillé la forêt derrière la lisière alors qu’il faisait nuit. Stupide, idiot, les mots manquent. Et un soir, un énorme 4×4 avec un très gros phare sur le toit roulait en plein milieu d’une belle place de brame. Hallucinant.

Pour l’ONF ou les agriculteurs, un seul coupable: le cerf

Cette période devient de plus en plus difficile pour les cerfs et pour ceux qui veulent assister, avec le respect dû, à ce formidable spectacle de la nature. Y auront-nous à nouveau droit dans le futur ? La question se pose réellement… Car le déclin est très net depuis 2018, quand la bascule s’est opérée, quand l’ONF a mis la pression. Les forestiers ne sont d’ailleurs pas les seuls, puisque les agriculteurs de montagne (pas tous…) s’y mettent aussi. Les cerfs seraient responsables de manger la moitié du fourrage disponible sur les prés…

Un raire pour donner de la voix, même s’il n’a jamais su qu’un photographe était dans les parages.
Toujours avoir un oeil sur la harde…
Un an et demi que je n’avais plus pu faire d’image sur cette crête, bien après le coucher du soleil…

On croit rêver ! Les cerfs n’auraient-ils tout simplement pas le droit de vivre ? L’homme doit-il décider du sort de la faune sauvage ? De quel droit ? Au profit de quoi ? De sa nourriture, de l’élevage, responsable, à grande échelle, du réchauffement climatique en cours ? Il n’est pas question ici de dire que les vaches, nos fameuses vosgiennes, ne pourraient pas monter sur leurs pâtures quatre à cinq mois par an. Mais pourquoi ne pourrait-il pas y avoir un simple partage, sans animosité, dans le respect de l’élevage mais aussi de la biodiversité, de la faune sauvage ? Qui est responsable de tous ces dérèglements du XXIe siècle ? L’Homme. Et seulement l’Homme…

Devra-t-on un jour se résoudre à vivre la magie du brame uniquement dans des parcs, comme à Sainte-Croix ? Ou se donner rendez-vous dans les Abruzzes, là où une vie sans chasse est possible ? Je ne puis m’y résoudre… En septembre prochain, nous serons encore nombreux à nous poster, camouflés, dans des endroits secrets pour revoir les grands cerfs. Même s’ils sont de moins en moins nombreux. Même s’ils sont toujours plus méfiants, bien conscients de la folie de l’Homme…